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Hommage à Jean-Louis QUERMONNE, président de l’AFSP (1994-2000)

L’Association Française de Science Politique rend hommage à son ancien président, Jean-Louis Quermonne, décédé à Grenoble le 16 janvier 2021 à l’âge de 93 ans. Cette disparition nous touche à titre personnel ayant eu chacun de nous deux l’honneur et le plaisir de le côtoyer à des périodes différentes de notre carrière. Afin d’honorer cette figure de la science politique française aux multiples responsabilités, nous avons rassemblé ici quatre témoignages, celui de l’actuelle directrice de Sciences Po Grenoble, Sabine Saurugger, celui de deux anciens directeurs de cet établissement, Jean Leca, ancien président de l’AFSP, et Yves Schemeil – qui évoquent la contribution de Jean-Louis Quermonne à notre discipline -, celui de Renaud Dehousse, président de l’Institut universitaire européen – qui revient sur sa contribution aux études européennes -, et enfin celui de l’un de ses anciens doctorants, Andy Smith, président de l’AFSP de 2016 à 2020.

Christophe JAFFRELOT, Président de l’AFSP
Michel MANGENOT, Secrétaire Général de l’AFSP


IN MEMORIAM par Sabine Saurugger

C’est avec une immense émotion et tristesse que je fais part du décès de Jean Louis Quermonne (1927-2021), professeur émérite de science politique, directeur de Sciences Po Grenoble de 1958 à 1969, directeur du laboratoire de recherche CERAT de 1964 à 1970, premier président de l’Université Grenoble II de 1970 à 1975 ainsi que président de l’Association française de science politique (AFSP) de 1994-2000. Il rejoint l’IEP de Paris en 1977 où il enseigne jusqu’en 1989, date à laquelle il retourne à l’IEP de Grenoble où il devient Professeur émérite en 1996. Il enseigne aussi régulièrement au Collège d’Europe de Bruges et est membre fondateur, avec Jacques Delors en 1996, de l’Institut Jacques Delors, think tank dont il est resté administrateur jusqu’à sa mort.

Successeur du premier directeur de Sciences Po Grenoble, André Mathiot, Jean-Louis Quermonne a construit les bases de l’Institut d’études politiques de Grenoble que nous connaissons aujourd’hui. C’est sous sa direction que l’Institut déménage sur le campus et que le bâtiment initial, qui vient d’être rénové et élargi, a été construit.

Spécialiste des institutions administratives et gouvernementales françaises, Jean-Louis Quermonne a par la suite investi le champ des institutions européennes qu’il ancra solidement dans le paysage académique de la science politique française. Il est notamment à l’origine de plusieurs ouvrages classiques, réédités régulièrement, dont Le Gouvernement de la France sous la Vème République (Paris, Dalloz, Coll. « Etudes politiques, économiques et sociales » n° 79, 1ère édition 1980) ; Les Régimes politiques occidentaux (Paris, Le Seuil, Coll. « Points politique », 1986), L’alternance politique (Paris, PUF, Coll. « Que sais-je ? » n° 2459, 1ère édition 1988), et Le Système politique de l’Union européenne (Paris, Montchrestien, Coll. « Clefs », 1ère édition 1993).

La perte de Jean-Louis Quermonne est immense pour la communauté de Sciences Po Grenoble, et pour la science politique française. Elle est aussi très douloureuse pour moi personnellement : Jean-Louis Quermonne m’a soutenue durant mes premières années d’études en France, affichant une bienveillance et un intérêt permanents pour lesquels je lui suis éternellement reconnaissante.

Jean-Louis Quermonne fut un pédagogue hors pair, d’une disponibilité permanente, profondément passionné par la progression des étudiantes et étudiants. Sciences Po Grenoble ainsi que l’ensemble des étudiantes et étudiants qui ont suivi ses cours, ses séminaires, ou qu’il a dirigé.e.s en tant que directeur de l’IEP de Grenoble, de thèse ou de mémoire, sont aujourd’hui orphelins d’un grand universitaire.

Mes pensées accompagnent sa famille et ses proches.

Sabine Saurugger
Directrice de Sciences Po Grenoble


IN MEMORIAM par Jean Leca et Yves Schemeil

Disparu le 17 janvier 2021 dernier Jean-Louis Quermonne a, au cours de sa carrière, accompagné la montée en puissance dans son pays d’une communauté de politistes devenue nombreuse – lesquels, au début des années soixante-dix, pouvaient encore se compter.

On lui doit beaucoup : il s’est tout d’abord joint à Jean Touchard, alors à la tête de la direction scientifique de la FNSP, pour obtenir qu’un doctorat es-Lettres, mention science politique, fût délivré en Sorbonne par convention avec Sciences Po Paris (une initiative dont profitèrent aussi des Grenoblois). Il a ensuite contribué avec Maurice Duverger, François Goguel et Georges Vedel à la création de l’agrégation de science politique, en 1973. Il a enfin beaucoup soutenu les IEP de région en tant que directeur des enseignements supérieurs. Auparavant il avait fait de Grenoble le premier « institut d’équilibre », suivi de près par Bordeaux, grâce à l’aide de la DATAR dont les responsables de l’époque surent obtenir à cette fin l’engagement de la FNSP dans la création de leurs centres de recherche et de documentation.

Il faut aussi se rappeler que l’épanouissement de ce que l’on a plus tard appelé « l’école de Grenoble en politiques publiques » aurait été impossible sans lui, qui a toujours soutenu son père fondateur, Lucien Nizard, puis François d’Arcy, Bruno Jobert, Pierre Muller, Guy Saez, Claude Gibert et tant d’autres, ainsi que tous les spécialistes de l’action publique dont ces derniers ont supervisé les travaux une à deux générations plus tard.

Présidant du jury d’agrégation en 1988-1989 il s’est entouré d’assesseurs représentant l’ensemble de la discipline, soucieux de laisser tous les talents s’épanouir, sans préjugés. La diversité des reçus de ce concours montre d’ailleurs que son intention de neutralité épistémologique a été suivie de réels effets. Jean-Louis Quermonne a toujours su repérer les personnes prometteuses, quelles que soit leur approche. Il a donc encouragé nombre de vocations, même à une époque où la science politique était encore sulfureuse dans son milieu d’origine, les facultés de Droit.

Comme président de l’Association on lui doit entre autres une participation active au réseau EPSNET créé par la Commission européenne et animé par Hans-Dieter Klingemann. Celui-ci contribua notamment par effet de concurrence, à provoquer d’opportunes initiatives du Consortium Européen de Science Politique fondé antérieurement par Jean Blondel en dehors des institutions européennes.

Au congrès d’Aix-en-Provence en 1996 il avait animé avec Pierre Favre une séance consacrée à la place de la science politique en Europe, encourageant les jeunes collègues qui l’écoutaient avec respect et bienveillance à occuper des postes dans des universités de pays voisins, voire à consacrer une partie de leurs recherches aux institutions et à la politique européenne. Un prix destiné à les y aider porte même son nom. Il est décerné par l’Association Française d’Etudes Européennes pour « récompenser tous les deux ans une thèse de doctorat en science politique en langue française, qui contribue à l’amélioration des connaissances relatives à l’intégration européenne ».

L’internationalisation de notre communauté était pour lui cruciale. Lui-même a toujours été comparatiste, prenant au sérieux les systèmes politiques des pays francophones sur lesquels il regrettait que les Français ne collaborent pas davantage. Il s’est surtout intéressé aux objets classiques de la discipline, s’amusant avec malice mais sans aucun préjugé de la créativité et de l’imagination sans limite de ses jeunes collègues en matière d’objets nouveaux.

Son œuvre a donc été centrée sur les institutions, elle a été transmise par ses manuels, qui, à la relecture, fourmillent de détails que seule une personne aussi présente dans les institutions françaises et européennes pouvait connaître. Ainsi acclimata-t-il la notion de « pouvoir d’Etat » pour caractériser les institutions françaises, une notion un peu perdue de vue jusqu’à la parution en 2020 du livre d’Olivier Beaud sur Les offenses au chef de l’Etat. On ne doit pas négliger pour autant ses contributions à l’analyse de la « sous-administration » (qu’il forgea d’abord dans ses travaux sur l’Algérie) et surtout à la théorie juridique et politique de la décolonisation et de la cohabitation dans les sociétés « multicommunautaires » – un terme devenu aujourd’hui passe-partout mais dont il usait pour sa part avec rigueur.

On aurait aimé que la rigueur et l’honnêteté avec lesquelles il a interprété son obligation de réserve en tant que grand commis de l’Etat (qu’il fut aussi), le conduisit à décrire ce qu’il avait vécu au cœur des institutions françaises. On peut rêver aux surprises qu’un tel ouvrage n’aurait pas manqué de soulever. On en retrouve les esquisses dans les travaux qu’il a dirigés ou accompagnés à Grenoble, à Paris et à Bruges. Son sens des réalités né d’une vision sobrement pessimiste des faiblesses humaines et son expérience aiguë in vivo du « policy-making » mêlant bureaucrates, experts, groupes d’intérêts et politiciens de métier (il ne fit jamais partie de ce dernier groupe) l’ont toujours rendu rétif à l’idée de se proclamer spécialiste de l’analyse des politiques publiques. S’il l’avait fait, il aurait perdu une de ses qualités principales : savoir s’adapter au jour le jour avec souplesse à un contexte fluide et changeant qu’on ne saurait « mettre en bouteille » (comme aurait dit Raymond Boudon) sans pour autant perdre de sa capacité à réussir les opérations auxquelles il tenait le plus et à préserver quelques principes fondamentaux – comme la décentralisation, la subsidiarité (ancrées en lui depuis sa formation démocrate-chrétienne), la liberté académique, le maintien de l’idée d’université et le pluralisme des processus politiques – tous menacés ou déformés aujourd’hui.

Il y a différentes façons de servir la connaissance. Jean-Louis Quermonne y a pris sa part, une belle et grande part. Nous lui en sommes tous reconnaissants.

Jean Leca et Yves Schemeil
Anciens directeurs de Sciences Po Grenoble


IN MEMORIAM par Renaud Dehousse

Au cours de sa longue et brillante carrière, Jean-Louis Quermonne aura recouvert tous les rôles auquel peut aspirer un universitaire, au sein des institutions académiques, des sociétés savantes et même auprès des pouvoirs publics. Et pourtant, en évoquant son souvenir, c’est d’abord à sa personne que l’on pense : une silhouette fine, un regard pétillant derrière ses grosses lunettes, une voix feutrée, une réserve dont on ne le voyait jamais se départir. Ceux qui l’ont connu se rappelleront aussi ses qualités humaines : l’attention réelle qu’il portait aux autres, son extrême gentillesse, sa courtoisie sans faille – qualités que l’on ne trouve pas toujours chez ceux qui ont réussi.

Tout enseignant est un passeur. Jean-Louis Quermonne l’était à plus d’un titre. Il fut un des premiers en France à s’intéresser aux chemins sinueux qu’empruntait la construction européenne à une époque où l’on ne parlait pas encore de « système politique » à ce propos. Agrégé de droit public, versé dans l’étude de l’administration publique, il était parfaitement équipé pour s’avancer sur ce terrain. Sa finesse analytique, doublée d’un remarquable esprit de synthèse, lui permettait de restituer d’une manière simple et claire une réalité intrinsèquement complexe.  Ces qualités ont assuré le succès de ses « Précis », qui ont introduit plusieurs générations d’étudiants à l’étude des institutions européennes. Le passeur en lui était aussi soucieux de déceler de nouveaux talents, auquel il prodiguait généreusement ses conseils. Cela lui a permis de jouer un rôle central dans le développement des études européennes en France.

Sa grande expérience du monde académique, sur lequel il portait un regard affûté et parfois malicieux, lui permettait de s’y mouvoir avec aisance. A plusieurs reprises, il a ainsi pu mener à bien un travail patient de médiateur et de bâtisseur – à Grenoble, ville à laquelle il était profondément attaché, mais aussi à Paris. Je l’ai vu à l’œuvre lorsqu’à la fin des années 90 Sciences Po s’est tourné vers lui pour réfléchir à la meilleure façon de s’ouvrir à la réalité européenne. Fidèle aux enseignements de Jean Monnet, il privilégiait la politique des petits pas mais on s’apercevait vite que la souplesse et le respect des formes n’excluaient en rien la détermination.

Homme de convictions, il s’est efforcé de mettre son savoir d’universitaire au service de l’action publique – tâche difficile, comme on sait – par des activités de conseil auprès des pouvoirs publics et par son engagement au sein du mouvement européen. Il avait été marqué par son compagnonnage avec Pierre Mendès-France, et son opinion comptait pour un esprit exigeant comme Jacques Delors.

Cet alliage précieux de compétences et de qualités en faisait une personne de référence pour beaucoup, et surtout pour tous ceux qui ont eu le privilège de le côtoyer.

Renaud Dehousse
Président de l’Institut universitaire européen, Florence


IN MEMORIAM par Andy Smith

Afin de contribuer à cet hommage à Jean-Louis Quermonne, permettez-moi de témoigner brièvement de la chance que j’ai eu de l’avoir connu dans les années 1990, d’abord en tant qu’étudiant puis comme l’un de ses doctorants.

Notre première rencontre eut lieu alors que je recherchais une place en DEA pour reprendre mes études. Quand personne ne répondait à mes lettres de candidature dans les universités ou les IEP, Jean-Louis Quermonne, qui dirigeait alors le DEA d’études politiques de l’IEP de Grenoble, m’a répondu par une lettre manuscrite dans laquelle il m’expliquait avec patience la marche à suivre et me proposait un rendez-vous dans son bureau parisien. Arrivé quelques mois après à Grenoble, grâce à ses conseils, j’avais voulu aller le remercier pour son soutien. Je me souviens encore de la réponse, qu’il m’avait faite avec simplicité : « mais c’est mon métier ».

Son sens du métier, j’ai eu la chance d’en prendre toute la mesure l’année suivante, lorsqu’il a accepté de co-diriger ma thèse avec Pierre Muller. Comme ce travail portait sur l’Union européenne, j’ai pu profiter de sa grande connaissance de ce qu’il appelait son « système politique ». Chose moins prévisible, il s’est aussi démené pour me mettre en contact avec un interviewé particulièrement loquace et stimulant, donnant à ma thèse la possibilité de prendre son envol ! Plus généralement, même si mes choix théoriques et mes oppositions obstinées aux analyses de juristes communautaires l’ont sans doute froissé de temps à autre, il a toujours été un directeur de thèse attentionné et un lecteur perspicace. Par un conseil avisé, dès le début de ma thèse, Jean-Louis Quermonne m’avait incité, discrètement mais fermement, à rejoindre l’AFSP et à m’engager dans ses activités alors en pleine expansion.

En ce moment solennel, des collègues expliqueront à raison le rôle important qu’il a joué dans la professionnalisation de notre discipline et dans son émancipation du droit public. D’autres souligneront la contribution de ses écrits à la connaissance, notamment à celle de la structuration et des dynamiques de la Ve République ou de l’intégration européenne. A l’ensemble de ces louanges évidemment méritées, je voudrais simplement rajouter que derrière toutes les réalisations individuelles et collectives de Jean-Louis Quermonne résidait un véritable enseignant, c’est-à-dire quelqu’un doté des qualités humaines sans lesquelles ce qualificatif ne se justifierait pas.

Andy Smith
Ancien président de l’AFSP (2016-2020)


A retrouver aussi…

« Jean-Louis Quermonne, professeur de sciences politiques, est mort »,  par Christian Lequesne (Sciences Po Paris), François d’Arcy, Yves Schemeil et Jean Leca (Anciens directeurs de Sciences Po Grenoble), in Le Monde, 20 janvier 2021.

« Disparition de Jean-Louis Quermonne : directeur de Sciences Po Grenoble de 1958 à 1969 », par Sciences Po Grenoble, 19 janvier 2021.

« Jean-Louis Quermonne (1927–2021) », par Christian Lequesne pour le Département de science politique de Sciences Po.